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LE MARIAGE MIXTE AU MAROC Législation et difficultés d’application Par Hind BELHACHMMI Qu’est-ce que le mariage mixte ? La définition du mariage mixte au sens du Droit marocain va bien au delà de l’idée reçue que c’est une union entre un conjoint de nationalité marocaine et un autre conjoint de nationalité différente. Au fait, avant d’aboutir à la définition constante que connaît actuellement la pratique jurisprudentielle, cette institution qu’est le mariage mixte a connu une évolution depuis la période du protectorat jusqu’à nos jours. En effet on a initialement défini le mariage mixte comme étant l’union entre un marocain et un étranger, définition qui se base sur le critère de nationalité. Ensuite, on a introduit le critère de religion comme facteur déterminant de la qualification de mariage mixte pour le considérer comme ‘’toute union entre conjoints dont l’un est marocain musulman et l’autre est non marocain et non musulman. [1] Mais actuellement , est considéré comme mariage mixte, toute union entre marocains et étrangers de statut différent, et à cet égard le Tribunal de première instance de Casablanca, à l’occasion d’un jugement en date du 20 janvier 1994 a clairement défini le mariage mixte en dégageant les cinq catégories de statut personnel qui existent au Maroc et qui sont : 1./ Les marocains musulmans auxquels s’applique la Moudouana (code de statut personnel marocain) ; 2./ Les marocains de confession juive qui sont soumis au statut personnel hébraïque marocain ; 3./ Les marocains non musulmans et non juifs qui sont soumis au statut personnel marocain musulman allégé, c’est à dire à la Moudouana sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à la polygamie qui leur est interdite, à la parenté par allaitement, à la répudiation qui doit être prononcée judiciairement ; 4./ Les musulmans non marocains qui sont soumis à la Moudouana ; 5./ Les étrangers non musulmans et non juifs qui sont soumis aux dispositions du Dahir sur la condition civile des français et des étrangers au Maroc. [2] Partant de là, ce jugement a dégagé la définition actuelle du mariage mixte, définition dont les prémices sont déjà posés par le Dahir du 4 mars 1960[3], et qui est qu’un mariage mixte est un mariage conclu entre une des personnes parmi les quatre premiers cas et une personne qui serait dans la cinquième catégorie. En d’autres termes c’est un mariage conclu entre un marocain musulman ou un marocain juif ou un musulman non marocain ou un marocain non musulman et non juif et un étranger non musulman et non juif. Donc pour définir un mariage mixte au regard du Droit marocain, tant le législateur que la jurisprudence ont tenu compte en même temps du critère de nationalité et du critère de religion, donnant ainsi toutes les chances à la loi marocaine de statut personnel (Moudouana) de s’appliquer. Mais dans quelles conditions cette loi est-elle applicable et quelles sont les difficultés d’ordre juridique rencontrées par les conjoints mixtes dans la pratique, de par l’application de la Moudouana ? Quelles sont les Conditions d’application de la Moudouana au mariage mixte ? C’est le dahir du 4 mars 1960 qui régit les conditions de fond et de forme des mariages mixtes. · Les conditions de fond : ce sont ceux établis par la loi nationale de chacun des futurs époux qui vont régir leur mariage. Cela entend que l’on devra tenir compte de la loi de chacun des époux au moment de la célébration, donc des interdits qu’elle pourrait imposer. S’agissant du conjoint rentrant ou dans le critère de nationalité marocaine ou dans celui de la religion musulmane ou dans les deux, il se verra interdire certains mariages par son statut personnel qui est ou la Moudouana ou le statut personnel hébraïque marocain (selon les cas). Ainsi donc, le femme marocaine musulmane ne pourra épouser un non musulman c’est à dire un infidèle, mais cet empêchement est temporaire puisqu’il suffit au futur conjoint de se convertir à l’islam. Par ailleurs, le marocain musulman peut épouser une non musulmane mais à condition qu’elle soit femme du livre c’est à dire de confession juive ou chrétienne. Quant aux marocains de confession juive, tant les hommes que les femmes, ils ne peuvent contracter mariage qu’avec des israëlites. · Les conditions de forme : - les mariages mixtes entre marocains et étrangers : le Dahir du 4 mars 1960 exige une double célébration. Ainsi donc, le mariage mixte est célébré en premier lieu devant les Adouls si le conjoint est musulman et/ou marocain, ou devant les rabbins si le conjoint marocain est de confession juive, et ce n’est qu’après que ledit mariage sera conclu devant l’officier de l’état civil. Il est à remarquer d’ailleurs que la célébration devant l’officier d’état civil est superfétatoire quant à la validité du mariage mixte au regard du Droit marocain, sauf si la loi nationale du conjoint étranger l’impose. Cette double célébration permet ainsi la validation dudit mariage tant au regard du Droit marocain qu’au regard du Droit étranger. Par ailleurs, si le conjoint marocain n’est ni musulman ni israëlite, une double célébration s’impose également d’abord devant les Adouls (car il est soumis au statut personnel allégé) puis devant l’officier d’état civil ou en la forme prévue par la religion de ce conjoint étranger. Cette disposition un peu étrange s’explique par la notion du ‘’privilège de nationalité’’, notion qui donne privilège à l’application de la Moudouana en tant que code de statut personnel marocain, dès que la nationalité marocaine est en cause. - les mariages mixtes entre marocains et français : Ces mariages sont régis par un texte spécial qui est la convention franco-marocaine du 10 Août 1981 et qui impose un régime assez particulier quant aux conditions de forme. En effet cette convention fait état de deux situations différentes, si le mariage est célébré au Maroc, il est soumis au préalable à la délivrance d’un certificat de capacité matrimoniale par le consulat français avant que ne soit célébré ce mariage devant les Adouls. Par contre si le mariage est conclu en France, une première célébration doit se faire d’abord devant l’officier d’état civil français avant que ne soit enregistré ce mariage au consulat marocain où il s’agit en fait d’une véritable célébration religieuse devant les Adouls, et ce mariage aura alors la même valeur juridique que s’il avait été conclu au Maroc. Quels problèmes d’ordre pratique rencontre le couple mixte ? Les difficultés d’ordre pratique qui peuvent surgir à l’occasion de la célébration d’un mariage mixte concernent tant les conditions de fond que les conditions de forme. S’agissant des conditions de fond, nous avons déjà évoqué plus haut les empêchements au mariage existants pour le conjoint musulman ou isrëlite, marocain ou non. De par ces empêchements, ou peut remarquer que le critère de religion est prédominant et va au delà du critère de nationalité, puisque ces mêmes empêchements s’appliquent à tout musulman, même non marocain, ce qui met en exergue une autre notion connue du système marocain et qui est le ‘’privilège de religion’’. Cette notion repose sur la force de la tradition islamique où un musulman, fut-il étranger, ne saurait échapper à la loi de l’islam, car de par sa religion il appartient à la Umma islamique, et cette notion d’Umma transcende les nationalités et tous les musulmans sont égaux dans le statut. Mais cette solution, en somme originale et propre au système marocain, est source de danger dans la pratique car elle incite à tous genres de fraudes. C’est ainsi que la conversion à l’islam peut avoir un dessein autre que spirituel, et peut s’opérer par exemple en vue de pratiquer la polygamie ou la répudiation ou d’exhéréder les héritiers, un non musulman ne pouvant hériter d’un musulman. D’autre part, la différence entre les statuts personnels des deux époux peut poser problème, car ce qui est permis dans le statut de l’un ne l’est pas forcément dans le statut de l’autre. Ainsi donc une française de statut monogamique ne peut épouser un marocain musulman (ou israëlite) qui n’a pas encore dissout les liens d’une précédente union, bien que le statut personnel du conjoint marocain autorise la polygamie. C’est dire que pour la célébration valable quant au fond, d’un mariage mixte il faut tenir compte de la loi nationale de chacun des conjoints mais sans qu’il y ait une antinomie entre les deux lois en présence. Mais ironiquement, ce que le conjoint marocain ne peut faire avant son mariage avec une européenne, il pourrait le faire par la suite, malgré ce mariage, en épousant une seconde femme de même statut que lui (qui autorise la polygamie). S’agissant des conditions de forme, le problème se pose surtout pour les mariages mixtes célébrés en dehors du Maroc (hormis le cas de la France qui est liée au Maroc par la convention de 1981), en ce sens que la plupart des pays étrangers spécialement européens où se concentrent de fortes populations d’émigrés marocains, la laïcité est de mise et de ce fait la célébration des mariages se fait uniquement en la forme civile. Mais la forme civile seule n’étant pas admise par le Droit marocain, le mariage mixte célébré à l’étranger se verrait frappé de nullité au regard du droit marocain et toute union célébrée en cette seule forme ne peut être au regard du Droit marocain que nulle. Le couple mixte ne pourrait dés lors “régulariser’’ sa situation vis à vis du Droit marocain que lors d’un «éventuel séjour au Maroc où il pourrait procéder à la célébration religieuse devant les Adouls. Or, les marocains qui ne penseraient pas à cette double célébration, verraient leur mariage en cas de différend, frappé de nullité, ce que n'a pas hésité d'ailleurs à faire le Tribunal de première instance de Casablanca dans un jugement du 10 Juin 1976, qui a annulé un mariage près de 30 ans après sa célébration en la forme civile. Mais pour parer à des désagréments pareils, un décret du 19 Juin 1970 a doté les consulats marocains à l'étranger du personnel nécessaire pour célébrer more islamico les mariages des marocains à l'étranger, en fixant les attributions des agents diplomatiques et consulaires et leur donnant pouvoirs pour conclure les mariages où un ressortissant marocain est mis en cause, à charge pour le couple mixte d'inscrire leur mariage devant l’officier d’état civil. Il apparaît donc que la plupart des problèmes d'ordre pratique que peuvent engendrer les mariages mixtes sont dus beaucoup plus à une ignorance de la loi et bien plus de la religion, puisque la célébration du mariage en la seule forme civile reste incompatible tant avec l'ordre juridique que moral marocain et pourrait bien plus avoir des répercussions négatives sur le long terme spécialement en ce qui concerne les effets du mariage, à savoir les successions et le régime de filiation. -------------------------------------------------------------------------------- [1] Paul Decroux, Mariages mixtes au Maroc : RMD 1956) [2] Dahir sur la condition civile des français et des étrangers au Maroc ou le DCC de 1913 constitue le code de droit international privé marocain, et à quelques articles près il demeure toujours en vigueur pour régler le statut personnel des étrangers non musulmans et non juifs au Maroc. [3] Le Dahir du 4 mars 1960 est le texte qui régit les mariages mixtes au Maroc. |
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